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Célestin Mawndoé : La dislocation de Yeleen nous a fait du bien
Notre Temps: Qu’est-ce que tu ressens après deux ans d’absence au Burkina?
Célestin Mawndoé: (Rires), C’est vrai que ça me fait bizarre! En même temps, cela m’a fait plaisir. Pour le moment, je n’arrive pas à réaliser encore que je suis au Burkina car je suis dans les salles de répétition et le boulot est rude. Je prendrais le temps d’aller au quartier, retrouver des amis et la famille.
Combien d’années as-tu passé au Faso?
13 à 14 ans, ça fait pratiquement trois ans que j’ai quitté le pays.
Peux-tu dresser un bilan de ton parcours?
Je ne peux pas parler de bilan parce que ça été des années d’études. Comme tout étudiant, je peux affirmer que je possède actuellement ma maîtrise, et le doctorat que j’ai fait au Burkina..
Quels bons souvenirs gardes- tu de ton long séjour ici?
Je ne peux pas tout citer: Yeleen, une belle expérience. La fondation Olurun, des amis du quartier, des amis du milieu de la musique, des productions faites avec des autres artistes, des participations à plusieurs projets. Bref, il n’y a que de beaux souvenirs!
Tes milliers de fans gardent toujours en eux cette voix langoureuse. Quel est ton secret?
Je ne considère jamais les gens comme mes fans. Je n’ai jamais utilisé des termes comme fans ou autre car quand on fait de l’art, on n’a pas besoin de se glorifier. Je parlerai plutôt de don et de spiritualité etc. Je pense que la gloire revient à Dieu, il utilise plutôt ma personne pour créer des émotions.
L’aventure avec Yeleen a fait chavirer le cœur de l’ensemble des Burkinabè et même au-delà, une aventure inachevée?
C’est juste le fait de croire que le rêve existe! Je pense que c’est ça qui est le plus important. Aujourd’hui, quand tu prends tous ceux qui veulent partir en Europe, aux USA ou au Canada, ils sont nombreux, et, pourtant ici on peut faire beaucoup des choses. C’est exactement ce que Yeleen m’a donné. C’est ce que je suis en train de faire au Tchad. C’est vrai que je suis parti il y a 13 ans parce que le Tchad ne me donnais pas les moyens de m’en sortir, mais je suis revenu pour leur dire qu’ils peuvent aussi réussir en entreprenant. Depuis que j’ai vécu au Burkina, j’ai compris qu’on n’a pas besoin d’aller chercher les moyens ailleurs, on peut se les donner soi-même où on est. C’est ce que Yeleen m’a véritablement donné.
…Et tes relations avec Smarty, où en sont-elles?
Smarty m’a beaucoup donnéau niveau de l’écriture. Parce qu’aujourd’hui, quand j’écris, je sens son influence en moi. Il m’a beaucoup apporté au niveau des textes. J’espère aussi que je lui ai donné des rudiments. Même quand il était au Tchad, je suis allé le voir. Quand je suis arrivé, je l’ai appelé, mais apparemment son numéro ne passait pas, on ne sait pas vu et plus tard on m’a dit qu’il était à Dakar. Je pense que chacun est content pour lui. La fin de Yeleen nous a fait beaucoup du bien. Ça nous permet de découvrir nos capacité personnels, de croire qu’on encore peut aller loin.
Le public continue toujours de se poser la question de savoir: pourquoi vous vous êtes séparés?
Vis-à-vis du public, nous ne pouvons pas répondre à cette question! Il y a une réalité qui est là: au début, tu es à l’origine de ton rêve, tu crois à ce rêve. Quand tu arrives à matérialiser ce rêve, les gens s’accaparent pour enfin dire que «maintenant vous êtes notre rêve et restez comme ça». Mais personne ne se pose la question de savoir: C’est quoi notre rêve? Chaque jour, nous avons beaucoup rêvé. Quand je regarde la carrière de Smarty, franchement, je suis content pour lui! Quand je regarde ce que je suis en train de faire en ce moment au Tchad, je me dis que si on était resté ensemble, ça être difficile. On n’avait des choses à dire individuellement et aujourd’hui chacun est à l’aise de son côté. Je peux comprendre la frustration des gens, mais il faut qu’ils arrivent aussi à comprendre que nous sommes les seuls maîtres de nos rêves. Surtout, aimer les gens ne veut pas dire qu’il faut les emprisonner ensemble. Aimer les gens, c’est les laisser s’épanouir! C’est ce qu’on est en train de faire en ce moment, car chacun apporte beaucoup pour lui-même et pour son pays. C’est ce que je vois dans la carrière de Smarty. Si les gens nous aiment vraiment ensemble, ils peuvent aussi nous aimer individuellement.
…Certains pensent que vous reviendrez encore ensemble…
Tout est possible! Car avant d’être ensemble, on n’avait pas demandé l’avis des gens pour l’être. En fait, les gens s’obstinent tellement en s’acharnant sur cette histoire comme si ce sont eux qui nous avaient mis ensemble! C’est vrai que c’est aussi leur histoire mais c’est avant tout la nôtre. Avant, quand on voulait se mettre ensemble, quelques uns s’étaient complètement opposés. Ils étaient convaincus qu’un chanteur et un rappeur n’ont rien à faire ensemble. Beaucoup de gens ne croyaient pas! Mais nous avions cru parce qu’on avait assez de feeling. Maintenant, si j’ai envie de l’inviter ou de bosser avec lui, je lui ferai appel. Je l’ai d’ailleurs déjà invité deux ou trois fois il n’est pas venu. C’est parce qu’il n’était pas disponible, donc s’il y a des choses à faire ensemble, on le ferra ensemble! Mais qu’on nous laisse au moins cette liberté là de faire aussi des choses pour nous et à notre façon. Les gens doivent respecter notre décision! Je suis désolé, je ne peux pas faire des choses pour faire plaisir aux gens.
Comment t’es-tu arrangé pour transiter rapidement vers une carrière solo qui marche au Tchad?
Pour commencer, la transition ne m’est pas venue d’abord en tête. Moins tu penses à une transition, mieux les choses se font. J’ai décidé d’être un artiste qui doit juste se contenter de créer des œuvres. C’est ce que j’ai fait avec Yeleen que je fais aussi dans ma carrière solo. Mon rôle c’est de prendre du plaisir à créer!
Combien d’albums pour l’instant en solo?
J’ai trois albums et je continue encore à enregistrer. Quand j’étais parti à Abidjan, je voulais bosser avec les artistes là-bas… (rires)…
…Très inspiré on dirait…
Non, c’est parce qu’il y a beaucoup de choses à dire. Quand tu arrives dans un pays comme le Tchad, il y a de la matière et plein de sujets. Ma présence au Tchad n’est pas seulement artistique, je me sens surtout en leader. Au regard de toute l’expérience que j’ai aujourd’hui, je me dis qu’il y a beaucoup de choses à dire.C’est surtout pousser les jeunes tchadiens à croire à leur capacité d’émerger dans un pays où existent des préjugés que rien ne peut se justifier. Ce qui est intéressant, c’est là où il ne se passe rien, qu’on peut faire des choses. C’est la raison pour laquelle je me lance dans l’évènement et d’autres projets de développement culturel. Certains ne rêvent que du «coupé-décalé», de «l’Azonto», mais moi, je leur dis que tout ça, ils peuvent le faire ici. Je l’ai déjà fait ici avec «le gouvernement» en essayant de promouvoir le «Takborsé». Tout réside dans un esprit de conviction, il faut que les Tchadiens croient en eux avant toute chose. Je les exhorte à créer, à croire en eux afin qu’ils n’aient pas une mauvaise image de leur pays. Je ne voudrais pas qu’ils pensent qu’ils ne sont pas intelligents et surtout que l’expérience viendrait toujours d’ailleurs. C’est la raison pour laquelle je me lance dans beaucoup de concepts. J’ai créé les productions «Daari», je suis en train d’élargir mes activités, je suis sur un grand projet de construction d’un village des arts qui comprendra de la peinture, de la sculpture, de la musique…J’ai déjà eu un grand terrain pour ça, j’ai créé un festival international, je me lance aussi dans les productions des vidéos, dans l’évènementiel, l’entreprenariat de spectacles. Donc je prends du plaisir à faire croire que notre métier est de rêver et qu’on ne doit pas être des artistes cas sociaux.
Qu’est-ce qui explique qu’au Tchad tu as atteint une certaine notoriété après 13 ans hors de ton pays?
Quand tu aimes les gens, ils te le rendent en retour. C’est surtout ce que j’ai vécu avec le Burkina. Quand je suis au Tchad, j’appartiens à la communauté Burkinabè résident au Tchad. Je ne le fais pas juste pour le feeling afin que les burkinabè pensent que je suis toujours resté fidèle à eux, non! Pendant toutes mes années ici au Burkina, je n’avais jamais coupé avec le Tchad. Tout ce que je fais, j’essaye de faire en sorte qu’il soit accepté au Tchad comme une action positive pleine d’enseignement. Je connais l’histoire de mon pays et je sais qu’il y a de l’argent. Mais avec cet argent, on ne peut pas faire grandir les choses. Il faut que les gens commencent à croire en eux et surtout à avoir une bonne image d’eux. Nous devons essayer de réparer ce que la guerre a détruit. Aujourd’hui, nous devons songer à savoir ce que nous allons laisser à notre nation. Je n’ai jamais eu honte de mon pays, j’ai toujours chanté en arabe et avec les langues du pays. J’ai toujours essayé de ramener artistiquement le Tchad vers d’autres horizons positifs. Ils pensaient que c’est parce que Yeleen était fini que je suis retourné au bercail. Mais ils se sont rendu compte depuis que je suis renté. J’étais rentré parce que j’avais envie aussi de bosser. Il fallait faire face aux railleries mais quand ils ont vu la première édition, la deuxième, sous le haut patronage du président, ils ont commencé à comprendre que je suis en train de les faire partager des émotions et surtout des rêves.
On évoque justement une affinité entre Mawndoé et la famille présidentielle tchadienne. Qu’en dis-tu?
(Rires)…Tu sais, les gens peuvent toujours se masturber des meninges! On a toujours dit dans nos proverbes africains que, quand tu es bon, tu es un enfant de tout le monde. Quand tu fais du bon travail, on te le dit ouvertement. Je suis issu du Sud du Tchad, je m’appelle Mawndoé, au Nord il y a les Mahomed, les Abdel Karim… Mais je ne porte pas uniquement ma casquette de sudiste. Je chante dans les langues arabes et autres tout en allant chercher dans la beauté et la poésie de la langue. Je ne me considère pas comme un Nordiste ou un Sudiste pas comme un chrétien ou un musulman. Je vais chez les musulmans, pas pour leur faire plaisir mais pour partager les choses avec eux. De la même manière que je leur donne, c’est de la même manière qu’ils donnent en retour. Donc la famille présidentielle, c’est la même chose. Quand on était avec le groupe Yeleen, elle nous a reçus avec Nash à l’époque. Je pense en toute humilité que je bosse beaucoup pour mon pays. Si je fournis autant d’efforts, c’est tout à fait normal que le président me soutienne en acceptant par exemple d’être le parrain d’un de mes évènements. C’est le seul contact que j’ai avec lui, depuis le temps de Yeleen. C’est même encore plus galvanisant qu’on te dise que tu as des affinités avec le Président car ça te permet de te sentir fort, mais bon beh…Je pense qu’il suit ce que je fais et il m’encourage dans cela c’est tout!
Tu es l’initiateur d’un festival au Tchad. Fais en-nous une brève présentation
Au départ, rien n’était destiné qu’il soit un festival. Après Yeleen, je suis rentré au Tchad et j’ai postulé grâce à l’association «Talents des jeunes» pour une résidence de création en France. Au final, j’ai obtenu le financement et il fallait que je trouve un nom de baptême pour cette résidence. Comme je suis issu du Sahel la rencontre concernait les musiciens français et sahéliens, raison pour laquelle je l’ai baptisé «Neige au Sahel». Nous avons donc tourné avec cette création et on m’a sollicité de résider en France, ce que je n’ais pas voulu. Je me suis dis qu’on produit toujours pour donner à l’Occident, pourquoi ne pas faire l’inverse? C’est ainsi que quand je suis rentré, j’ai organisé la première édition avec Aly Véruthey, Souké… mais ce n’était pas encore un festival en tant que tel. Ensuite Floby, Alif Naaba, Papus Zongo etc. C’est à cette édition que tout a véritablement été lancé. Plus tard, l’année dernière, il y a eu la deuxième édition avec A’Salfo et le reste. Bref, ce festival est en train de croître d’années en années. J’accentue beaucoup plus ce festival sur deux thèmes: le rêve et l’excellence. La médiocrité ne doit pas être une vertu! Il faudrait qu’à un moment donné qu’on arrête de pleurnicher et de se lamenter. Ceux qui ne peuvent pas faire de la musique cherchent d’autres boulots! Mais si nous sommes dedans, arrêtons de dire qu’il faut qu’on nous soutienne, c’est comme ci nous sommes considérés comme des cas sociaux (rires). On peut être humble sans être misérable. Cette année, nous avons beaucoup misé sur la presse internationale avec la présence de TV5 avec Boncana Maiga qui va enregistrer son émission «Star Parade» là-bas juste pour mettre les artistes tchadiens en valeur. Télé Sud viendra également enregistrer son émission «Afro sud» et à côté de ça, Trace Tv, Vox Africa et bien d’autres viendront mettre beaucoup plus de lumière à l’évènement.
Quelle sera la particularité de cette rencontre artistique?
Au niveau de la résidence de la création, on va faire un voyage sur le fleuve Niger en passant par le Lac Tchad en descendant au Lac Tanganyika. C’est le thème principal de la création cette année. Artistiquement, il y a Kamaldine, Awadi, Smocky et après il y aura les soirées urbaines avec les Kadeem, Nash, Krotal et autres. Ensuite, il y aura la soirée VIP qui sera retransmise en direct à la télévision nationale du Tchad. Il y aura aussi un village pour les tout-petits. Donc, il y aura une résidence artistique le 30 octobre 2014, une soirée VIP le 31 et le 1er novembre, on aura un grand concert au stade avec une grande parenthèse pour les enfants. Donc ces quatre jours de spectacle avec des émissions TV.
Quelle est l’image que tu gardes des acteurs du show-biz burkinabè?
J’ai eu beaucoup de plaisir à rêver avec les gens. Je pense, à mon avis, que ça continue. Il y a eu des moments où on a rigolé, on a crié, on s’est insulté, c’est de cette manière qu’on arrive à révolutionner les choses. Aujourd’hui, quand on voit les résultats, on n’est plus complexé par la qualité de la musique burkinabè. On est plus à l’époque où la musique burkinabè subissait les influences étrangères. Maintenant les Burkinabè arrivent à dire que: «Non! Il y a nous aussi!». Que ce soit sur le plan sportif ou culturel, il n’y a plus de complexe. C’est le fruit des acteurs du show-biz, car tous ces moments où on se rentrait dedans sont en train de porter des fruits. L’artiste burkinabè le plus connu au Tchad, c’est Floby. Quand il était venu à mon festival, il a fait des témoignages du genre: «Mawndoé, je voulais tellement le ressembler que je volais l’argent de ma grand-mère pour m’acheter des instruments». Le fait que les Tchadiens écoutent ça, ils se disent que nous négligeons notre frère Mawndoé alors que c’est lui qui a influencé notre idole Floby. Bref, un artiste doit être vrai! Il doit être lui-même. Peu d’orgueil en nous et tout ira. Il faudrait que nous croyons à nos compétences et cela va toujours nous pousser à faire mieux. Merci au Faso pour tout ce qu’il m’a appris, je ne suis pas parti, je suis toujours là et je reviendrai à tout moment.
Par David H. MAGNAN